Retrouvailles avec son passé [Pv. Agathe]

Le Caire, Décembre 1947

Il n'y avait rien de mieux que de passer l'hiver sur les bords du Nil, au lieu de se les geler sur un terrain d'aviation délabré de Shanghaï. C'est ce que c'était dit MacKenzie, lorsqu'il avait accepté le contrat que l'on lui avait proposé quelques semaines plus tôt, lorsque les Israéliens étaient venus le chercher jusqu'en Chine.

L'Etat hébreu venait tout juste d'être crée, et connaissait encore quelques problèmes à s'installer dans ses nouvelles terres, et les discordes avec ses voisins ne manquaient pas. C'est pourquoi ils avaient à former une nouvelle armée, prête à défendre leur pays. Or qui dit "armée" dit "matériel" et "armes", et les pilotes qui semblaient prêts à rentrer dans l'illégalité et à briser l'embargo se comptaient sur les doigts de la main. Cependant, Jake en avait fait sa spécialité. L'illégalité, j'entends bien .. ou disons les coups de main un peu louches.

Faut dire qu'après avoir vécu cinq années de guerre sans cesse sur le qui-vive, cela peut laisser quelques marques, sur le côté psychologique. Et MacKenzie était l'un de ses nombreux blessés de guerre dont la blessure n'était pas visible, mais belle et bien renfermée au plus profond de lui-même. Jake était en effet devenu un chien fou, cherchant sans cesse les situations dangereuses, les fusillades, les bagarres ou les vols peu tranquilles qui pourraient lui rappeler au moins un minimum ses vols de guerre. C'est d'ailleurs l'un de ses anciens collègues qui avaient envoyé les Israeliens sur ses traces, convaincus qu'il ferait un excellent candidat pour le métier proposé.

Cela faisait deux semaines qu'il était arrivé en Egypte, aux commandes d'un DC-3, en transitant par l'Himalaya, l'Inde puis l'Arabie Saoudite. Un long voyage, tranquille et monotone, simplement troublé par les quelques escales. Et à peine arrivé, Jake avait commencé son travail, enchaînant les rotations pour les Israeliens, au nez et à la barbe des Egyptiens, qui n'affectionaient pas particulièrement leurs nouveaux voisins. Le système était simple. Sous couvert d'un transport de marchandise pour la Turquie, la Syrie, la Jordanie ou le Liban, MacKenzie transportait au milieu de caisses de jouet des caisses de grenades, de munitions et d'armes en tout genre. Une fois au-dessus de l'état hébreu, et après avoir convenu d'un point de largage, MacKenzie parachutait la cargaison puis continuait sa route comme si de rien n'était. Et plus on faisait de rotations, plus on gagnait d'argent.

En moyenne, Jake faisait un aller-retour par jour, et ce petit marché devait continuer encore pendant un mois, selon le contrat qu'il avait signé. Un mois ou il s'en mettrait plein les poches, s'il ne se faisait pas surprendre par les autorités égyptiennes et envoyé en prison. Etant donné qu'il travaillait pour Israel, ceux-ci observaient le chabbat, et c'était jour chômé à partir du vendredi. MacKenzie pouvait donc profiter chaque semaine d'un long week-end à se remémorer ses souvenirs de guerre, lorsqu'il opérait non loin du Caire.

En effet, peu après la Bataille de Malte, et en "échange" de son affectation en Birmanie dans la Royal Australian Air Force, Jake avait dû jouer les chauffeurs pour un certain Major Norton Bowen. Sans poser de questions, il devait amener l'officier supérieur -qui frisait alors la cinquantaine- aux quatre coins de l'Egypte, la ou bon il souhaitait, simplement sur un claquement de doigts. Malgré la différence de grades, et le respect qui en découlait, les deux hommes devinrent amis, Norton faisant découvrir sa passion de l'histoire au jeune australien. Ils prirent l'habitude de passer leurs week-ends au Caire ensemble, dans l'antique librairie dont le Major Bowen était propriétaire, ou bien sur les bords du Nil, comme si la réalité de la guerre était à l'autre bout du monde.

C'est ainsi que Jake, après un ou deux verres de Gin bus à l'ombre d'une terrasse se remémora le Major Bowen, et leurs escapades. Il se rappela également que la petite librairie, si elle existait encore, ne devait pas être trop éloignée de l'endroit ou il se trouvait. Ainsi, mû par la nostalgie et la curiosité, MacKenzie se mit en quête de la petite bibliothèque, une cigarette entre les lèvres.

Et à son plus grand plaisir, il la retrouva comme il l'avait quittée, et avait l'impression qu'il était basé en Egypte encore hier. Amusé, il resta quelques minutes en silence à la contempler, avant d'éteindre sa cigarette et de se passer une main sur le visage. Il aurait dû se raser, il n'était pas tellement présentable depuis la fin de la guerre. Ses cheveux avaient légèrement poussé, et il se plaisait à laisser pousser une barbe de deux ou trois jours. Et s'il ne le reconnaissait pas ? Tant pis, on verra bien. Jake poussa la petite porte grinçante, entrant presqu'à pas de loup dans la librairie, comme s'il ne voulait pas se faire remarquer. Une petite cloche sonna, indiquant sa présence, mais ne remarqua personne. En attendant, se dirigeant vers le petit guichet, Mac s'attarda dans un des rayons, un petit sourire sur les lèvres, passant son doigt sur les couvertures des livres, lisant les titres qui lui rappelaient de lointains souvenirs ....

« Ne perdons rien du passé. Ce n'est qu'avec le passé qu'on fait l'avenir » – Anatole France

La journée était plutôt tranquille dans la boutique, Agathe n’avait vu défiler que deux clients jusqu’à présent, si bien qu’elle avait gentiment congédié le vieil ami de son père, Hakim. Un vieux gaillard, les quatre-vingt ans approchant, qui la traitait comme une gamine et qui ne cessait de répèter qu’il était chargé de la surveiller en l’absence de son père, autant dire tout le temps. Et ce depuis qu’ils étaient arrivé en Egypte.

Agathe aimait beaucoup le vieillard mais ce dernier ne se rendait pas compte qu’elle n’avait plus dix ans mais bien vingt-huit et que cela faisait bien longtemps qu’elle avait prit sa vie en main, du moins le pensait-elle

Au fond d’elle-même, elle n’était qu’une petite fille manquant d’amour mais elle n’était pas prête à se l’avouer.

Elle n’avait plus de nouvelles de son père depuis un moment déjà. Ce dernier devait être encore entrain de farfouiller des ruines à la recherche d’une relique sacrée ou autre. Agathe n’y pensait même plus, l’homme était presque devenu fantôme dans sa vie. La jeune femme soupira et s’attela à classer les divers ouvrages qui trainait encore à l’arrière de la petite boutique en attendant de trouver leurs places parmi les rayons.

La jolie blonde entreprit donc de déplacer les nombreux livres lorsqu’elle tomba sur un livre édité il y a peu par un homme qu’elle ne connaissait point, c’était l’un des cadeaux que son père lui avait ramené de son dernier voyage. Il parlait de l’Inde. Et Agathe ne put s’empêcher de l’ouvrir, se mettant à feuilleter distraitement les pages, observant d’un œil aguerri les quelques illustrations, lisant des passages par-ci par-là. Elle n’avait pu encore se plonger totalement dans sa lecture du fait qu’elle avait rejeter le cadeau, cadeau qui n’était qu’une preuve d’amour futile et matérielle.

Elle lui en voulait. Elle lui en avait toujours voulu mais n'avait pas encore eu le courage de le lui dire en face.

C’est la sonnerie caractéristique de la porte d’entrée qui tira Agathe de sa torpeur, elle reposa le livre qu’elle tenait dans les mains sur une des nombreuses piles présentes dans la pièce et sortit de l’arrière-boutique. Remontant ses lunettes sur son nez aquilin, elle s’avança vers l’inconnu.

Bonjour, puis-je vous aider ?

Un sentiment étrange s’empara d’elle et elle ne sut dire pourquoi. Ce profil, ses yeux d’un bleu profond, ce sourire, il lui était familier. Mais enfoui au fin fond de sa mémoire sans qu’elle puisse mettre des mots dessus.

Agathe farfouilla les méandres de son esprit durant quelques secondes mais aucun nom ne vint. A moins qu’elle ne rêve, après tout, avec Agathe, cela n’était pas rare.

Cherchez-vous quelque chose de particulier ?

Au fur et à mesure des ouvrages parcourus, Jake se rappelait le nom des auteurs. Il y avait là une fameuse collection de Gardiner, Faulkner ou Aldred, ces célèbres égyptologues britanniques. Tous ces noms lui rappelaient Norton, et leurs différentes escapades aux quatre coins de l'Egypte, lorsque MacKenzie le déposait à droite et à gauche dans différents temples. Il avait découvert de véritables merveilles pendant cette époque, et l'australien avait vu des temples dont il n'avait jamais entendu parler, ou jamais osé en imaginer dans son enfance. Faut dire que là-bas, dans son île lointaine, les pharaons et tout le toutim, ils ne connaissaient guère .. ou vaguement....

Une petite voix vint le sortir de sa torpeur. Il l'entendit au loin, comme si elle n'était qu'un simple murmure, qu'un simple soupir dans ses souvenirs d'antan. Ce n'est que lorsque qu'Agathe demanda si l'éventuel client recherchait quelque chose de particulier qu'il revint à lui-même, répondant instinctivement.

"Un vieil ami .."

Cette réponse était sortie d'un coup, comme si cela faisait quelques minutes qu'il se la répétait mentalement pour pouvoir la sortir au moment venu. Sauf que Jake, dans son étourderie, n'avait pas fait attention à qui venait de lui parler et s'attendait tout naturellement à tomber sur ce vieux Norman. Ce n'est que lorsqu'il se retourna vers la jeune femme qu'il remarqua son erreur.

"Oh pardon .."

Alors qu'il observait le visage de la jeune femme qui lui faisait face, il essayait de se remémorer son nom. Il la connaissait, et avait son prénom sur le bout de la langue. Comment s'appelait-elle déjà ?

"Agathe ? Pardon, Miss Bowen, c'est bien vous ? Vous n'avez pas changé .."

assura-t-il avec un petit sourire poli.

Revoir Agathe, revenir dans cette petite librairie du Caire, tout ceci le transportait quelques années auparavant, lui rappelant d'excellents souvenirs, même s'il n'était pas trop enthousiasmé par l'idée de jouer le chauffeur à ses débuts.

"Comment va vôtre père ? Est-il là ?"

Il se passa un court instant de silence avant que MacKenzie ne se rende compte de son impolitesse.

"Veuillez m'excuser, je m'emballe et j'en deviens impoli. Comment allez-vous, Miss Bowen ? Cela fait quoi ? Cinq ans ? Six ans ?"

Je dois avoir ça en réserve.

Sans demander son reste, à peine interloquée, Agathe se mit à réfléchir sur les éventuels livres traitant de l’amitié qu’elle pouvait avoir en réserve. Sa naïveté n’avait pas fait défaut et elle n’avait pas cherché à en savoir plus. Et ce même si la demande était improbable. Ce n’est que lorsque l’homme se tourna vers elle avec un regard désolé qu’elle comprit qu’il ne cherchait pas un livre sur l’amitié.

Il s’excusa et Agathe sentit de nouveau la sensation de familiarité. Elle eut un petit sourire lorsqu’il sembla réfléchir à la même chose, semblant visiblement chercher son prénom. La jolie blonde fut sur le point de le lui dire lorsqu’il la devança.

… C’est moi oui.

Oh mince ! Jake Mackenzie. Comment avait-elle pu l’oublier ? A présent, elle ne se rappelait que trop parfaitement des rencontres épisodiques auxquelles elle avait eu droit. Elle n’avait pas du le voir plus d’une dizaine de fois mais sans le vouloir, il l’avait marqué. Ceci par l’aura de secret qui se dégageait de lui, surtout que son père n’avait jamais vraiment parlé de lui auparavant avant de venir le lui présenter comme un excellent ami. Elle n'en savait pas plus sur ce Jake, si ce n'est qu'il avait un regard des plus troublants et qu'elle avait plutôt bien apprécié. Le rouge lui monta instantanément aux joues et elle s’excusa platement.

Je suis confuse.

Agathe ne répondit pas tout de suite, légèrement vexée que Mackenzie invite Norton Bowen dans la conversation. Non pas qu'elle souhaite avoir toute l'attention sur elle mais Agathe ne souhaitait pas enchainé sur un sujet prêtant à de fâcheuses conséquences. Surtout qu'elle n'avait aucune nouvelle. Et c'était bien la première fois qu'elle n'en avait pas depuis un temps aussi long. Elle avait songé un instant qu'il avait pu périr alors qu'il cherchait l'une de ses reliques mais la libraire avait vite chassé cette idée de sa tête. Non, son père était bien vivant et il l'abandonnait une fois de plus. Du haut de ses vingt-huit ans, Agathe se sentait encore l'âme d'une petite fille lorsqu'il s'agissait de son paternel. Et ce malgré toute la maturité dont elle pouvait faire preuve.

Excuses acceptées.

Etant que vous êtes partis en… 1942. Plutôt 43, si je ne m’abuse. Cela fait quatre ans. Nous dirons que le temps a passé. Je vais bien, merci. Et vous ? Comment se déroule vos affaires ?

Agathe enleva ses lunettes à montures fines afin de les essuyer avec son chemisier, elle hésitait. La jeune femme n’avait pas vraiment envie de parler de son père, mais Jake était ici pour cela, pas pour elle.

Hélas, je n’ai plus de nouvelles de mon père depuis presque deux mois déjà. J’en suis désolée. Je pensais que vous aviez garder le contact.

Puis-je vous offrir une tasse de café ou de thé ? Vous ne serez alors point venu pour rien.

S'interrogeant visiblement tout d'abord sur qui pouvait bien être cet étrange client qui débarquait en plein milieu de la journée à la recherche de son père, le souvenir de Jake lui revint lorsque Mac se rappela de son prénom. Il put ainsi observer son visage et le voir passer de la méfiance à la gêne de ne pas l'avoir reconnu. En même temps, qui l'en aurait blâmé ? Certainement pas l'Australien, en tout cas ! Faut dire qu'ils ne s'étaient que peu croisés, et il ne lui en voudrait certainement pas si la jeune libraire ne se souvenait pas de lui. Jake avait dû la voir en tout et pour tout une dizaine de fois en cette première moitié d'année 1943. Et il faut dire que le pilote avait eu l'impolitesse de ne pas donner de ses nouvelles après son départ en Birmanie.

Evoquant son père, Jake crut sentir une légère gène de la part de la jeune femme .. ou bien était-ce une note de colère ? Il ne se rappelait pourtant pas que les choses allaient mal entre eux .... En attendant, cela faisait quatre ans qu'ils ne s'étaient pas croisés, tout aurait bien pu évoluer entre temps ! Lorsqu'Agathe accepta ses excuses pour son impolitesse, un fin sourire ne put s'empêcher de prendre place sur les lèvres du pilote, avant que la jeune libraire n'évoque que brièvement les quatres années qui venaient de se passer avant de lui retourner la question.

"Eh bien écoutez vous savez, il ne s'est rien passé d'extraordinaire pour moi non plus. Disons que j'ai eu des hauts et des bas .."

Il faisait bien évidemment allusion à son internement dans un camp de prisonniers japonais et des sévices qu'il y subit. Mais MacKenzie évitait la plupart du temps de se remémorer certains épisodes qu'il avait vécu durant la guerre, ou en tout cas, il n'en parlait que très rarement ou à certaines personnes qu'il connaissait bien. Et actuellement, il n'avait pas envie d'ennuyer Agathe avec ces sottises.

"J'ai quitté l'armée, à la fin de la guerre. Et je me suis installé en Chine, à Shanghaï pour monter une petite affaire dans l'aviation. Un peu de fret, de transport de personne, rien de bien transcendant."

Agathe l'écoutait attentivement, essuyant ses lunettes à l'aide de son chemisier. C'est l'image qu'il avait gardé d'elle, en tout cas celle qui venait de lui remonter à l'esprit. L'image d'une jeune femme sérieuse et consciencieuse, intéressée par ce qu'elle faisait. Mais l'Australien ne put se replonger dans ses souvenirs qu'Agathe continuait, lui expliquant la situation de son père. Jake lâcha un :

"Oh .."

interrogateur et penseur .... C'est vrai que deux mois sans nouvelles, ce n'était pas rien. Et d'après ce qu'il connaissait de son père, ce n'était pas vraiment dans ses habitudes, même s'il s'éclipsait souvent. Savait-elle au moins ou se trouvait Norton ? Le sortant une nouvelle fois de ses interrogations, la jeune libraire l'invita à rester prendre le café. MacKenzie lui afficha un sourire sincère, avant de répondre :

"Ce serait avec plaisir, Miss, vraiment. Et rassurez-vous .. contrairement à ce que vous pouvez penser, je ne suis pas venu pour rien !"

Son sourire s'affirma légèrement avant de laissait passer quelques secondes silencieuses durant lesquelles il suivit la jeune femme pour prendre le café en sa compagnie. Néanmoins, curieux, il ne put s'empêcher de repenser à l'affaire de Norton. C'est ainsi qu'il céda à la tentation, légèrement gêné et sur un ton un peu plus bas, comme s'il avait presque peur de la déranger avec cette question.

"C'est vrai que je n'ai pas gardé contact. J'aurai dû ... n'empêche .. deux mois sans nouvelles, je trouve que cela est un peu long..."

Jake ne souhaitait pas l'inquiéter, c'est pourquoi il poursuivit rapidement.

"Savez-vous où il se trouve ?"

« Ce serait avec plaisir, Miss, vraiment. Et rassurez-vous … contrairement à ce que vous pouvez penser, je ne suis pas venu pour rien !
- Vous m’en voyez ravie. » Répondit Agathe avant de faire signe à Jake de la suivre vers l’arrière de la boutique. La boutique était attenante à la maison qu’occupaient la jeune femme et accessoirement son père lorsqu’il pointait le bout de son nez. Elle entraina l’homme non loin de là, le faisant passer par une petite porte en bois qui grinça et ils atterrirent dans une petite cuisine sans prétention. Agathe s’affaira immédiatement en mettant à chauffer une vieille cafetière tandis qu’elle invita Jake à s’asseoir. Il n’avait pipé mot, se contentant d’hocher la tête en exécutant les choses. Cependant il reprit la parole bien vite sur un ton bas invitant à la confidence. Il était gêné, mais visiblement curieux.

Agathe soupira. Non, elle n’en savait rien. Oui, elle s’inquiétait mais ne le montrait pas. Son père avait le don de l’abandonner en permanence et la jeune femme voulait avancer, arrêter de reculer pour un homme absent qui se souciait à peine d’elle et les rapportait des cadeaux hors de prix pour se déculpabiliser.

« Je suis désolée Monsieur McKenzie mais je suis l’incapacité de vous aider en ce qui concerne mon père. » dit-elle tout en servant une tasse de café à son invité avant de fouiller dans un des placards pour en sortir une boite métallique contenant quelques biscuits secs. Elle se retourna alors vers son invité et lui sourit, tout en pensant qu’elle aimait bien sa façon de froncer les sourcils. Et ce même si la situation ne s’y prêtait pas.

« Vous savez, il ne cesse de voyager et ne revient que rarement. » exposa Agathe en émiettant un biscuit entre ses mains, veillant bien à ce qu'aucune miette ne tombe à terre et qu'elles forment une ligne parfaitement droite. « Cette passion passe avant tout… » Mais elle ne continua pas, laissant les mots qu’elle aurait voulu dire au fond de sa gorge. Avant moi… Agathe n’était pas une personne rancunière, loin de là. Cela dit, le comportement de son père provoquait en elle une certaine lassitude. Et il l’empêchait de vivre sa vie à elle, lui insufflant toutes sortes de peurs et de barrières. Elle avait vingt-huit ans mais elle avait l’impression de n’être toujours qu’une enfant.

Une enfant qu’une simple araignée pouvait rendre complètement hystérique et justement, une de ses bêtes velues se promenait tranquillement sur la table, écartant bien ses pattes en signe de défi. Ni une ni deux, Agathe se mit à trembler et se percha sur sa chaise, s’éloignant le plus possible de la table. La situation était plutôt comique mais Agathe ne riait pas, elle était complètement paralysé.

« Tout doit être propre, tout doit être propre… Une araignée n’est propre. » répéta t-elle à plusieurs reprises à voix basse sans pouvoir s’arrêter.

(le coup de l'araignée, c'est nul. LOL. C'est pour inclure doucement le côté hypocondriaque de la demoiselle. =))

Agathe fit un petit signe au pilote, l'invitant à rejoindre l'arrière de la boutique. Qui était en fait leur maison, si les souvenirs de Mac étaient corrects. C'est ainsi qu'il s'exécuta, en silence, comme s'il ne voulait pas troubler le sacro-saint silence qui régnait en ces lieux. Il s'installa sur une vieille chaise, autour de la petite table en bois tandis qu'Agathe s'affairait à préparer le café. Lui qui pensait que les Anglais ne buvaient que du thé ...

Bientôt, les arômes volatils et envoutants de la caféine envahirent l'atmosphère, plongeant l'australien dans une douce torpeur. Jake était réellement accro au café et à tout ce qui en découlait. Il ne se passait pas une journée sans qu'il ne boit sa cafetière quotidienne. Sans quoi, il pouvait être de très mauvaise humeur .. et envoyer tout le monde sur les rotules par la même occasion.

Mais ces préoccupations envers le père de la jeune libraire reprirent les dessus, et MacKenzie ne put s'empêcher de jouer les indiscrets, amenant une nouvelles fois Norton dans la conversation. L'Australien entendit une nouvelle fois un soupir lui répondre... comme si le sujet paternel était vraiment à éviter. Non, il avait beau essayer de se remémorer aussi loin qu'il le pouvait, il ne se souvenait pas d'une telle discorde entre la fille et son père.

Jake restait donc silencieux, lorsqu'Agathe vint lui servir sa tasse de café. Il la remercia toutefois poliment d'un petit sourire et d'un hochement de tête. L'Australien restait distrait, une petite moue clairement affichée sur son visage, presque comme un enfant boudeur. Il ne s'occupait pas de Miss Bowen, mais se demandait bel et bien dans quelle embrouille s'était jeté le père de la jeune libraire. Jake connaissait bien son tempérament, et il commençait petit à petit à se faire du souci pour lui. Instinctivement, presque machinalement, il porta la tasse de café à ses lèvres, ce qui le réveilla pendant quelques courts instants. Le pilote releva la tête pour voir Agathe casser un biscuit sec en deux, d'une manière précise mais toutefois délicate.

Il l'écoutait attentivement, également. "Cette passion passe avant tout ..." avait-elle déclarée, tout en ne finissant pas sa phrase. Cette passion semblait être ce qu'Agathe reprochait à son père. Il est vrai que du temps ou il l'avait connu, et malgré la proximité avec le Caire, le vieux Norton ne rentrait que rarement, et se révélait plutôt casse-cou par moment. Avec un petit sourire, buvant une autre gorgée du précieux nectar, Jake se rappela de la fois, ou en pleine offensive de l'Afrika Korps vers le delta du Nil, le Major Bowen menaça presque son "chauffeur" pour qu'il l'emmène vers un point situé en plein milieu des lignes ennemies afin de faire des recherches sur un temple ....

Le crissement de la chaise d'Agathe frottant contre le sol surprit le pilote. Intrigué, il releva les yeux vers la jeune libraire, et ce qu'il vit le surprit profondément. La jeune femme était perchée sur sa chaise, le plus loin possible de la table et l'air vraiment effrayée, ou préoccupée. Son regard fixait le centre de la table, ou une araignée semblait avoir élu domicile, défiant les deux humains en ne bougeant plus, fixant la libraire. Agathe, marmonnait quelque chose, inlassablement. Jake surprit quelques mots "Tout doit être propre" répétait-elle ....

De ça non plus, il n'en avait pas le souvenir. MacKenzie posa sa tasse délicatement sur la table, sans faire de gestes brusques. Calmement, il sortit un mouchoir d'une de ses poches de chemise, dans lequel il emprisonna, toujours aussi calmement, la petite araignée. En silence, il se dirigea vers la fenêtre entrouverte de la cuisine, délivrant l'insecte dehors, qui s'écrasa dans le sable de la ruelle. Avec des gestes précis et rigoureux, il plia son mouchoir avant de le ranger dans sa chemise. Jake vint ensuite se planter face à Agathe, accroupi devant elle. Doucement, il posa une main sur son épaule, un geste qui se voulait rassurant. Plantant son regard dans le sien, il chuchota :

Chuut .. c'est fini... voilà, c'est fini

répéta-t-il en essayant de calmer la jeune femme.